Philosophie et infidélité …

Que peuvent nous apprendre les philosophes à propos de l’infidélité / l’adultère ?

Préambule :

Que peut nous apprendre la philosophie au sujet de l’infidélité / l’adultère ?

Difficile de répondre à cette question de manière frontale, et ce pour plusieurs raisons.

En voici quelques-unes :

  • Les philosophes n’ont pas réponse à tout.
  • Peu de philosophes ont eu l’occasion d’écrire sur ce thème.
  • La réponse sera en outre différente en fonction des courants / écoles de pensée auxquelles on fera référence …

Mais alors, comment peut-on (dans ces conditions) penser pouvoir répondre à la question posée dans cet article ?

  • Les philosophes n’ont peut-être pas réponse à tout, mais ils nous aident à remettre en question certains de nos préjugés. Un rappel rétrospectif / historique n’est pas inutile pour mettre en relief le sujet / mieux comprendre l’évolution du regard des philosophes sur les questions relatives au couple et la sexualité.
  • Il est vrai que peu de philosophes ont vraiment abordé le thème de l’infidélité.
    – Mais beaucoup de philosophes ont par contre disserté de l’amour et de ses limites !
    – Et rien ne nous interdit d’essayer de manipuler / d’emprunter certains concepts philosophiques à nos propres fins !
  • Concernant la dernière remarque évoquée ci-dessus.
    Schématiquement, il semble possible de différentier deux types de réponses / d’approches :
    – Une large part de philosophes s’accordent pour dire que le fait de tromper son mari / sa femme / son ou sa compagne est un acte que l’on peut difficilement justifier (les philosophes d’obédience judéo-chrétienne notamment).
    – Mais d’autres courants ont une approche moins manichéenne des choses (les sceptiques / réalistes / matérialistes etc).

Pour Platon

On peut dire que Platon avait une vision plutôt platonique …

La vision de Platon sur la sexualité était pour le moins assez particulière et misogyne.

Particulière car Platon était homosexuel mais sans doute frustré ! Il explique qu’une âme noble est une âme qui ne cède pas à ses désirs sexuels. Il croyait à une autre vie après notre existence physique et à une sorte de jugement moral au royaume des morts.

Concernant son regard sur les rapports sexuels avec les femmes, il disait : « on ne fait pas l’amour, on s’accouple avec sa femme sans l’aimer ».

Notes :

Les hédonistes et les épicuriens avaient un rapport plus libre, guidé par la recherche de plaisirs. Pour certains d’entre eux, le fait d’avoir des rapports physiques pluriels représentait un moyen privilégié pour accéder au divin (et pas forcément avec des femmes). Nous sommes assez loin des représentations actuelles du couple et de la fidélité.

Pour les sceptiques de l’Antiquité (Sextus Empiricus ou Pyrrhon D’Elis), la philosophie se définit par le soupçon, le sens critique et le refus des vérités / certitudes qui rassurent. Que diraient les sceptiques sur l’idée de l’amour ou du couple éternel ? Sans doute qu’il faut se méfier des illusions et accepter l’idée selon laquelle le désir et le plaisir sont des sentiments naturels et qu’il faut en accepter le constat.

Chez le romains …

Les philosophes romains avaient une conception assez proche de celle des grecs. Le philosophe Lucrèce considérait par exemple qu’il était inutile de donner trop d’importance à l’amour / de s’encombrer de sentiments superflus.

Pour le marquis de Sade

Le marquis de Sade est avant tout connu pour ses récits érotiques / pornographiques. Mais on oublie souvent que cet écrivain était aussi un vrai philosophe. On imagine ici aisément l’image que ce philosophe radical et matérialiste pouvait penser de l’idée du couple, de l’amour exclusif ou de la fidélité …

Pour Machiavel

Machiavel est souvent cité pour « Le Prince », un manuel à l’usage des détenteurs du pouvoir. Tentons ici un parallèle : ce manuel peut-il êtres utile pour les personnes en couple ? Imaginons le cas d’un homme infidèle rongé par les remords et qui hésiterait entre deux choix : révéler une relation extraconjugale ou au contraire ne rien dire ? Machiavel retiendrait sans doute la deuxième option. Pourquoi ? Le philosophe à une vision réaliste des choses. Inutile de risquer de tout perdre si rien ne nous force à avouer. En cela, Machiavel considère en quelque sorte que la vérité n’a pas de valeur en elle-même. Elle représente plus un instrument / un moyen pour défendre ses intérêts. Il faut donc savoir – toujours selon le philosophe – l’utiliser en fonction des circonstances …

Pour Hobbes

Dans Léviathan, Hobbes dresse le portrait d’une société où les hommes accepteraient d’échanger leur liberté naturelle contre la sécurité sociale. Dans ce contexte, Hobbes laisse entendre que les hommes ont une préférence pour la sécurité au détriment de la liberté. En est-il de même pour le couple ? Hobbes – qui est un réaliste – répondrait sans doute par l’affirmative. Mais sans doute pas les idéalistes qui considèrent pour leur part que l’homme à une préférence pour la liberté au détriment de la sécurité …

Pour Montaigne

Dans un autre style, Montaigne accorde lui aussi assez peu d’importance au concept de l’amour (« une agitation éveillée, vive et gaie »). Dans la veine des épicuriens, Montaigne se méfie de l’amour : « Toute jouissance est bonne qui n’entame pas la liberté, l’indépendance, l’autonomie. »
. D’autres ressorts plus profonds sont à explorer selon lui…

Pour Kant

Kant avait défini l’impératif moral – « tu dois faire le Bien » – comme le seul impératif catégorique (qui vaille toujours). Pour lui, ou pour les déontologistes, il ne faut pas mentir. Sinon, on ne pourra pas vous croire. C’est ce que dit aussi Nietzsche lorsqu’il écrit : « Ce qui me gêne, ce n’est pas que tu m’ais menti, mais que désormais je ne pourrais plus te croire ».

Pour Schopenhauer

Pour Arthur Schopenhauer, nous sommes avant tout des animaux motivés par le besoin de reproduction, de survie de l’espèce.

L’homme qui produit des millions de spermatozoïdes par jour eu égard au rythme d’ovulation mensuel de la femme. Dans cette logique, si l’homme a cette capacité, ce n’est pas pour rien.

L’amour est une illusion, un enchantement qui permet les conditions pour que les hommes et les femmes (qui se méfient l’un de l’autre) s’accouplent. Il porte une certaine haine sur les rapports charnels : « Une série de gesticulations ridicules, accomplies par deux idiots ».

Pour Foucault

Pour Foucault, la vérité n’est qu’un rapport de force qui change dans le temps. Exemple : hier perçu comme messager divin, le fou est aujourd’hui considéré comme un malade. Par extension, l’infidélité hier tabou (rappelons que l’adultère fut longtemps considéré comme une faute pénale en France) est-elle aujourd’hui considérée comme une option banalisée (dans les médias ou via certaines publicités) lorsque l’on est en couple / marié ?

Pour Michel Onfray

Le philosophe Michel Onfray a une vision particulièrement tranchée sur les notions de fidélité et d’infidélité.

Pour lui, la vielle conception traditionnelle du couple (qui suppose un homme, une femme, mariés, fidèles, monogame, habitant sous le même toi, faisant des enfants et vivant ensemble toute la vie) est dépassée. Le philosophe constate que ce modèle ne marche pas, que tout le monde trompe tout le monde, tout le monde couche avec tout le monde, chacun trompe quiconque dès qu’il en a l’opportunité et qu’il ou qu’elle est assuré du secret de son adultère …

C’est comme ça depuis le début de l’humanité et ce sera comme ça jusqu’à la fin de l’humanité.

Nous sommes des êtres de désirs, avec des envies et des pulsions et soit on s’interdit de vivre ces envies, soit on les vit mais de manière cachée.

Onfray évoque alors le cas des personnes homosexuelles qui montrent comment un couple différent peut repenser le couple et la famille.

On peut avoir comme le dit Fournier, des passions pivotales (un être autour de qui tout tourne) et des passions papillonnantes (frivoles).

Toutes ces possibilités sont possibles.

Au final, il faut selon Onfray être clair sur ses désirs et avec les autres (on n’échappe pas aux lois de l’éthologie).

Quant à la jalousie ?

Michel Onfray parle de ce trait de caractère comme quelque chose de négatif.

Le philosophe insiste sur la notion de contrat. Selon lui l’adultère suppose de la discrétion, de la pudeur, du contrat mais pas forcément de la transparence.

Zoom : la relation entre le corps et l’esprit

La tradition de la pensée, de la métaphysique occidentale fonctionne par binôme, par dualisme hiérarchique : le bien et le mal, le haut au-dessus du bas, le corps et l’esprit …

Depuis Platon, les philosophes ont presque tous placé l’esprit au-dessus du corps.

D’ailleurs cet esprit on lui donne toutes sortes de noms : l’esprit, l’âme, la raison pensante …

Le corps est toujours le corps, il n’a qu’un nom.

Il est placé en infériorité par rapport à la pensée.

La philosophie occidentale est volontariste, elle croit au pouvoir de la raison.

Le point culminant de ce rationalisme c’est Descartes (cogito ergo sum) et même les philosophes du siècle des lumières.

La liberté de l’esprit est telle qu’elle peut tout surmonter.

Platon disait que le corps est le tombeau de l’âme, qu’il faut s’arracher à cette chaîne que représente le corps.

Un autre stade est franchi avec le christianisme, le corps est fautif, il est le siège du pêché, il faut rester chaste …

Le corps est un objet que la penser doit dompter.

Et cette pensée va rester dominante dans la pensée judéo-occidentale jusqu’au milieu du vingtième siècle.

Et puis la phénoménologie (avec Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre ou encore Edmund Husserl) va apporter un autre point de vue : finalement la raison ne domine pas le corps.

Au vingtième siècle, le corps semble devenir encore plus important au point de détrôner l’esprit.

C’est le corps qu’il faut mettre en avant, que l’on soigne, que l’on sacralise, que l’on souhaite garder bronzé, jeune, beau, mince et musclé le plus longtemps possible …

Bibliographie

Aude Lancelin et Marie Lemmonier – Amour et sexualité : Quand les philosophes en parlent et la vivent, 2010.

Olivia Gazale – Je t’aime à la philo : Quand les philosophes parlent d’amour et de sexe, 2012.

André Comte-Sponville – Petit traité des grandes vertus, 2001.

Francesco Alberoni – Je t’aime, 1996.

Différentes interventions de Michel Onfray sur Youtube.

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