Entretien avec le socio-anthropologue Christophe Colera (*)
Bonjour Christophe et merci d’avoir accepté de jouer le jeu et de nous accorder un peu de votre temps. Commençons tout de suite avec une première question : quelles proportions l’adultère prend-il dans nos sociétés ?
Le célèbre rapport Kinsey en 1950, donnait 26 ¨% d’adultère chez les femmes aux USA avant 40 ans, et 35 % chez les hommes. A peu près le même chiffre était avancé dans les années 70. Aujourd’hui en France certaines enquêtes révèlent des chiffres assez voisins pour les hommes (40 %) et un peu plus chez les femmes qu’auparavant (35 %, peut-être parce qu’elles l’avouent plus facilement). Parfois dans certains sondages cela monte jusqu’à 55 % pour les hommes et 45 % pour les femmes (soit un couple sur deux concernés). Evidemment tout dépend de ce qu’on entend par « relation adultère ». L’adultère est une notion toute relative. Pour certains peuples avoir une relation hors mariage n’est pas de l’adultère, et il faut rappeler aussi que la majorité des sociétés humaines avant la domination du monothéisme, tout comme les grands singes, étaient polygynes (un mâle, plusieurs femelles). Pendant longtemps dans beaucoup de grandes civilisations où la monogamie était la norme, l’adultère n’était blâmée et donc n’existait en tant que tel que si c’est la femme qui le commettait. Aujourd’hui encore on ne sait pas bien ce qu’une telle « relation » recouvre (un simple baiser ? un flirt ? une relation suivie ?). Selon une étude de 2008, une femme sur quatre et un homme sur trois ont déjà eu deux relations sexuelles (suivies) en parallèle. Si on ajoute les relations d’un soir ou les flirts cela concerne sans doute la moitié des couples, et peut-être plus si le taux d’aveu dans les sondages reste sous-estimé.
Que sait-on des circonstances de l’adultère ?
– On connaît un peu les motivations des femmes. Une majorité de femmes considèrent qu’elles tromperaient son conjoint par dépit amoureux ou sur un coup de foudre, un dixième juste pour pimenter leur vie (et une sur quatre jure qu’elle ne trompera jamais son partenaire). Il y a moins d’analyses concernant les hommes. Les chiffres sont contradictoires sur les lieux de l’adultère. Certains sondages affichent la prédominance de l’adultère au bureau, d’autres de l’adultère au sein du cercle d’ami. Nul doute que les réseaux sociaux sur Internet font aussi émerger de nouvelles facilités de rencontre. On peut préciser aussi que 7 % des relations adultères auraient lieu entre personnes du même sexe, ce qui est un peu du même ordre (compte tenu des marges d’erreur) que le chiffre de 4 % de gens qui ont eu une relation homosexuelle dans leur vie.
L’adultère est-il naturel ?
Le regain d’intérêt pour les théories biologiques depuis les années 1990, notamment aux Etats-Unis, a fait prendre conscience du fait que, si l’adultère est si répandu dans le monde, c’est parce que la nature nous a créés pour ça. Nous sommes inconsciemment poussés à désirer sans limite, et même à « rechercher de nouveaux visages » parce que nos gènes, pour se perpétuer, ont intérêt de s’accoupler avec le plus grand nombre possible de gènes différents. Cela augmente la probabilité de leur survie. Heureusement chaque adultère ne conduit pas à la procréation, mais le fondement de la motivation biologique serait là. La théorie marche surtout pour les hommes pour qui la reproduction est une tâche moins lourde que pour les femmes, mais elle vaudrait aussi pour celles-ci, car le penchant pour l’adultère aurait été, dans l’histoire de notre espèce, une source pour elles de suppléments de nourriture et de confort. D’ailleurs le penchant pour la multiplication des partenaires est très répandu chez les femelles des grands primates qui ont un patrimoine génétique très proche du nôtre. Le fait que nos corps soient disponibles pour la sexualité toute l’année, et fonctionnent potentiellement comme des signaux sexuels à tout moment explique que la possibilité de l’adultère existe à tout moment, ce qui oblige à toutes sortes de stratégies plus ou moins conscientes de détournement / neutralisation /
Est-ce à dire que l’adultère serait la norme et la fidélité l’exception ?
Du point de vue du conditionnement biologique (qu’il faut quand même prendre avec prudence, car l’anthropologie naturelle tâtonne un peu), nous sommes plutôt conduits à mélanger les deux, une valeur pouvant surclasser l’autre et réciproquement suivant les moments de nos vies. Notre anatomie le révèle : notamment la morphologie des canines des hommes, qui sont moins saillantes que chez les chimpanzés. Selon les derniers travaux des anthropologues, elles seraient plus émoussées parce que nous n’avons pas été confrontés aux mêmes vies de batailles entre mâles que nos cousins. Nous sommes donc moins infidèles qu’eux. Il faut se souvenir que l’infidélité, tout en étant très répandue, peut être une source considérable de conflits, notre anatomie nous ayant disposés à défendre un monopole sur notre descendance potentielle – la jalousie vient de là. Ce à quoi il s’ajoute que, dans l’histoire de notre espèce, les femmes ont sans doute choisi de procréer avec des hommes plus attentifs à l’éducation de leur progéniture, donc plus enclins à limiter ou dissimuler leurs aventures extraconjugales, et ce sont les gènes de ces hommes là qui se sont transmis jusqu’à notre époque, pas ceux des amants plus volages. Voilà sans doute pourquoi l’adultère n’est pas venu complètement à bout d’une certaine forme de fidélité au foyer (dans le cadre de l’éducation des enfants notamment, y compris dans les familles polygames) et se vit plutôt comme une option « complémentaire » vouée à rester discrète …
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* Chercheur associé au laboratoire Cultures et sociétés en Europe (Université de Strasbourg). Auteur entre autres de « La nudité pratiques et significations » (Editions du Cygne, 2008).
** Encore un grand merci à C. Colera ! Les échanges que nous avons eu ensemble ont toujours été intéressants et de qualité ! Nous vous recommandons chaleureusement la lecture de son blog ou de ses différents travaux (dont l’ouvrage cité ci-dessus).